Mardi 29 août 2006 à 15:16

Retour à Paris.

On retrouve toujours ce qu'on a perdu.

Nos petits quartiers, nos cafés, les gens, la pluie (en aout !).

Le canal st martin, st ger, le marais, odéon.

Tout traverser comme si on n'était pas parti.

La vie va reprendre.

Le lycée aussi.

RetroUvailles en PagaiLLe.

Mais on ferra tout pour que ça se finnisse pas en "metro boulot dodo"

et j'ai crier crier AVRIL pour qu'elle revienne...

Aline, Christophe

Dimanche 20 août 2006 à 21:45

« C'est le Liban qu'on assassine »       ELLE n°3162

Par Désirée Sadek

(Directrice de la rédaction du elle oriental dont le premier numéro devait être lancé à Beyrouth)

Le temps vient de s'arrêter. Je suis devant une valise ouverte qu'il est urgent de remplir de l'essentiel. Comment reconnaître l'essentiel quand on ne sait plus différencier hier d'aujourd'hui ? Hier, c'était il y a trente ans, le 13 avril 1975, j'avais 17 ans. Le Liban s'était mis d'un coup à exploser dans mes oreilles. UN éclair dans le ciel bleu. La guerre n'avertit jamais. Et quand elle est là, on perd tous ces repères. Faut-il fuir ou rester ? Où, comment, quand ? Le quand prend une dimension essentielle dans cette anéantissement du temps. QUAND tout cela va-t-il s'arrêter ? Que mettre dans une valise lorsque le temps n'est plus qu'une quantité fiable ? Impossible que cela dure plus qu'une semaine, deux maximum…

 Le jour où j'ai dû enjamber le cadavre d'un être humain pour me présenter au bac, j'ai décidé d'aller plus loin que la montagne. Notre refuge depuis des siècles dans cet Orient escarpé où toutes les contradictions ont pris racine. Partir là où je pourrais parler et écrire la langue que je connaissais par cœur. Celle de ma culture française. Francophone jusqu'au délire.

On était nombreux à débarquer à Orly. Longue file d'attente où l'on fouille jusqu'aux couches des bébés pour vérifier… quoi au juste ? Qui sommes nous pour être accueillis comme des terroristes là où l'on vient t de se réfugier ? Les années ont passé. Entre parenthèses. J'ai continué à lire et à écrire. J'en ai même fait mon métier. J'évitais de trop penser à ce que j'avais laissé derrière moi. Mon pays brûlait sur l'écran de la télévision et moi je passais des heures pour joindre les miens restés là-bas. Je leur répétais : « demain, je reviens… Les choses vont s'arranger, impossible qu'elles durent plus longtemps. » Et le momentané s'est installé à vie. Et notre vie est devenue momentanée. De valise en valise. De frontière en frontière.

En 1992, les armes ont fait silence. On a désarmé les uns. Laissé les autres continuer à s'armer. Le tout sous tutelle syrienne et avec l'accord tacite du monde entier. Malgré cette incohérence, tout ceux qui, pas une seconde, n'avaient voulu quitter le Liban à vie, sont rentrés, la tête pleine d'images et d'idées pour donner des ailes à notre monde à nous. Celui de notre adolescence cassée. On voulait effacer, reconstruire, recommencer. Mieux qu'avant. Et Beyrouth s'est mise à réfléchir. Les villages à se repeupler. Le Liban est devenue la destination branchée. Armée de tous mes espoirs, je suis revenue chez moi pour bâtir « Byzance », en avril 2004. Non pas un empire mais mon magazine édité en français et distribué dans le monde entier pour raconter autrement la rencontre entre l'Orient et l'Occident. Montrer ce que chaque civilisation montre de beau à l'autre.

14 février 2005, l'attentat qui allait tout bouleverser. Qui a tué Rafic Hariri et ceux qui sont morts après ? Plus d'un million de libanais ont brandi leur drapeau pour crier leur soif de liberté. Les syriens sont sortis du pays et on a chanté à tue-tête le bonheur retenu depuis trente ans. Notre Liban allait enfin devenir réalité. Pour couronner le tout, voilà qu'on me confie une belle fille. Enfin ELLE au visage oriental. En arabe et en français. Pour affirmer encore et encore plus notre amour pour ces deux langues, ces deux cultures qui vivent de façon très forte au Liban. L'euphorie était immense. Dans le Liban qui fêtait sont retour au rôle de grand catalyseur des tendances et des vents de la diversité, nous avons lancé, le 22 juin 2006 ; le n°1 de ELLE oriental. Dans le Chouf, à 40 km de Beyrouth, Deir-El-Kamar («  le couvent de la lune », un fief des émirs du XVe au XVIIe siècle) s'est illuminé dans la nuit. On chantait, on dansais, on montrait notre ELLE après un somptueux défilé de créateurs et de couleurs qui mariaient les tenues d'Orient et d'Occident.

Aujourd'hui, tout se mélange dans ma mémoire : Kenzo, Saab, Chanel, Gaultier, Lacroix et les autres ont été remplacés par les F16, missiles Raad 2, Olmert, Nasrallah, Hezbollah, Bush et compagnie. Les ovations et les sourires ne sont plus que discours à la langue de bois, et de feu. Israël et le droit qui s'arroge à briser un pays pour assurer sa sécurité. Deux otages valent bien tout un peuple otage d'une politique internationale en délire. En scène, c'est le défilé de la destruction. Les obus se déhanchent dans le ciel avant de disparaître, laissant derrière eux des cris et des larmes. Les ponts tombent. Les immeubles enterrent leurs occupants au rythme saccadé des sifflements de missiles. Et les mots comme élégance, fragrance et inspiration ont cédé la place à force de frappe, massacre et exode.

Exode, le voilà le nouveau mot qui colore notre quotidien. Tout comme la majeur partie de la population, ELLE oriental a plié bagages. On a commencé par ouvrir les fenêtres, fermer les persiennes, cacher les ordinateurs sous les tables. Les gens affolés couraient dans les rues devant nous, portant vivres et matelas. Et nous sourions, le minimum de matériel sur les épaules, portables et imprimantes collées comme des bébés contre le ventre, du centre-ville vers le nord du pays. Comment penser ELLE en temps de guerre ? Il y a seulement quelques jours, on était en Orient ouvert, dans un pays qui jouait en pleine air, qui parlait à haute voix, qui chantait la femme, la liberté et la joie de vivre. Un œil sur l'écran d'ordinateur, l'autre sur celui de la télé, on voit Beyrouth devenir poussière. La ville est rasée là où la population est la plus dense. Au sud, les habitants migrent vers l'inconnu. Ils ont un ultimatum de deux heures pour partir vers nulle part puisque les ponts n'existent plus et que les missiles criblent les routes. Aéroport, ports et camions deviennent des cibles. Le Liban est en état de siège total. Les grandes puissances rapatrient les leurs. Les autochtones sont interdits de vie.

Le monde entier est convaincu qu'Israël est en train de liquider le Hezbollah surarmé à ses frontières. Oui, mais qui a laissé cet armement se faire sous tutelle syrienne ? Et puis le Hezbollah, c'est 800 000 personnes, c'est un peuple, c'est la grande majorité de la communauté chiite du Liban. Depuis quand une aviation peut-elle en venir à bout ?

En vérité, depuis le 12 juillet, c'est le Liban qu'on assassine. Dans sa population la plus démunie, dans ses villages que l'on rase, dans son économie que l'on étouffe, dans ses infrastructures que l'on détruit, dans son armée qu'on abat la nuit dans les casernes. Cette même armée qu'on veut installer sur les frontières à la place du Hezbollah. Les avions rasent le pays des Cèdres. Une guerre trop inégale. Les grandes puissances le savent. Elles se taisent, croyant que l'on débarrasse du terrorisme. Mais n'est-ce pas justement ainsi qu'on le crée ?

ELLE oriental s'est concentré dans une petite cellule de crise, installé dans le nord du pays, tout près de l'antique forêt des cèdres. Les avions nous survolent pour aller bombarder tantôt la Bekaa, tantôt Beyrouth, tantôt n'importe où… Nous sommes sept, de toutes les communautés du Liban, le sort en a décidé ainsi. Hier, ils ont détruit les relais de téléphone mobiles du nord et les stations de télévision. Pourquoi nous isoler ainsi alors qu'il n'y a nulle trace du Hezbollah dans cette région ? Hier, l'appartement d4Antoine Daher, notre rédacteur en chef, a été détruit. De quoi sera fait demain ? Encore plus coupés de monde, encore plus indécis sur notre sort, nous voulons plus que jamais continuer à créer. C'est par la création que l'on peut s'opposer au verbe détruire. Créer et attendre.

En faisant ma valise pour venir ici, tout près des cèdres, j'ai finalement décidé de prendre le minimum. Non, cette guerre ne durera pas trente ans. Cette fois-ci, le peuple libanais est uni. Dans la peine et l'entraide et m^me au n om de Dieu, on ne pourra plus le séparer. La guerre au Liban durera juste le temps que le hurlement de l'injustice soit plus forts que le bruit assourdissant de la mauvaise foi.

Désirée Sadek, juillet 2006

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